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Dans l’incapacité de libérer son armée assiégée dans Étampes, il fallait au prince de Condé quelque action d’éclat pour sauver son prestige.

D’autant que les plus extrémistes des Frondeurs poussaient les excités à se venger. Ainsi, en plein palais de justice, le procureur du roi fut-il sévèrement battu encore même qu’il se trouvait à terre, et c’était là chose jamais vue.

Puis, en la suite de la journée, une foule où se mêlaient des éléments troubles toujours plus nombreux se présenta devant la prison de la Conciergerie dont elle enfonça les portes avant de libérer les détenus qui n’étaient point là pour raisons politiques mais pour crimes et méfaits nombreux.

Le duc de Beaufort, qui jamais ne recula devant une initiative malheureuse, songea alors à faire de cette foule une armée qui compta bientôt vingt mille hommes dont il assura l’instruction militaire tandis que les bourgeois de Paris, fort mécontents mais réduits au silence en ces circonstances, durent payer leurs soldes… et les loger, certains des « volontaires de Beaufort » n’hésitant point à violer femme et filles de leur hôte sitôt arrivés en d’agréables logis auxquels ils n’auraient jamais eu accès hors ces temps troublés.

Le prince de Condé, vainqueur de Rocroi et de Lens, fut atterré à la vue de cette « armée », mais il se devait de l’employer au plus tôt s’il ne voulait point encourir son mécontentement et la voir, peut-être, se tourner contre lui.

Le prince cherchait un objectif qui présenterait l’avantage de ne lui pouvoir résister. Ainsi, avec les vingt mille hommes de Beaufort, auxquels s’ajoutait un demi-millier de gentilshommes et troupes régulières, il porta son choix sur Saint-Denis, place fidèle au roi et tenue par… deux cents Gardes Suisses.

À vaincre sans péril…

Le comte de Nissac, prévenu par le marquis de Dautricourt et les espions de Mazarin, rassembla ses Foulards Rouges et arriva à Saint-Denis à bride abattue, peu avant le prince de Condé et sa nombreuse armée.

Aussitôt, il ordonna aux bourgeois d’ouvrir les écluses dans l’intention d’inonder la plaine autour de la ville. Ainsi fut-il fait et le prince lui-même, bien qu’il fût à cheval, se trouva pris dans les eaux jusqu’à la taille.

L’armée de Beaufort, au dire de certains, passa alors de vingt mille à dix mille hommes, puis à zéro lorsque les deux cents Suisses aidés des Foulards Rouges et de quelques bourgeois, accueillirent les assaillants par un feu de mousqueterie des plus redoutables.

Laissant là le prince de Condé et son fidèle La Rochefoucauld, le duc de Beaufort courut à la recherche de son armée en fuite.

Quoique inégal, puisqu’en un rapport de deux contre un en la défaveur des défenseurs, le combat prit alors un caractère plus militaire. D’un côté, deux cents Suisses et Foulards Rouges, de l’autre, cinq cents gentilshommes.

Comme en les plus terribles des guerres civiles, on se battit rue par rue, quartier par quartier, barricade par barricade. À l’une d’elles, les Foulards Rouges armés de mousquets et grenades ne cédèrent point, d’autant que, prenant les Condéens en enfilade, la barricade se trouvait très habilement placée en épi, et des plus difficiles à assaillir. Aussi, excédé, Condé décida-t-il de la contourner par une autre rue afin de poursuivre les Suisses qui, courageusement, reculaient pas à pas avant d’occuper l’abbaye où ils se retranchèrent, écartant toute idée de capitulation. Ils ne déposèrent les armes que deux jours plus tard, mais seulement en raison que le prince leur avait envoyé émissaire les prévenir qu’il comptait faire sauter l’abbaye.

Sachant le combat terminé, « l’armée de Beaufort », à nouveau forte de vingt mille hommes, arriva alors à vive allure pour tuer, violer et piller.

On donna l’ordre de chercher les Foulards Rouges parmi les morts et les prisonniers mais, une fois encore, ils avaient disparu, laissant trente cadavres devant la barricade qu’ils tinrent pendant plus de six heures.

On établit une garnison de la Fronde à Saint-Denis et le prince revint à Paris pour y savourer sa victoire.

Le lendemain, balayant la garnison condéenne, monsieur de Turenne reprenait Saint-Denis et rendait la ville au roi.

Le prince de Condé s’ennuyait.

Il s’occupa donc de femmes mais, nonobstant les compliments reçus, il sentait bien qu’il n’était point un amoureux et sa façon de leur faire l’amour, brutale et en quelques très courts instants, ne les satisfaisait point. L’une d’elles, jeune bourgeoise d’une très grande beauté littéralement arrachée à son jeune mari, n’avait-elle point osé, l’acte accompli, murmurer le psaume « Miserere mei, Deus » ?

Le prince dirigea alors la rédaction d’un libelle ayant pour titre « Tarif convenu dans une Assemblée de Notables en présence de M. M. les Princes » et qui offrait un prix pour chaque morceau du cadavre de Mazarin : tant de livres pour un bras, tant pour les yeux, tant pour les deux mâchoires et ainsi jusqu’à des parties plus intimes… L’œuvrette, cependant, ne révéla point monsieur le prince comme un auteur de qualité auprès des Frondeurs raffinés, qui se trouvaient quelques-uns tout de même, dont monsieur le duc de La Rochefoucauld.

Le salut du prince vint d’ailleurs, et presque par surprise.

Le royaume des Lys, en décomposition, dégageait une forte odeur de charogne qui attira le duc de Lorraine, aristocrate mercenaire commandant une armée « privée » de huit mille hommes très expérimentés.

Charles de Lorraine étant d’une nature fort corruptible, le roi d’Espagne lui offrit très bonne récompense s’il allait soutenir monsieur le prince de Condé.

Le duc de Lorraine s’empressa d’accepter… puis pareillement s’empressa de négocier avec la Cour.

Sous des dehors frustes et brutaux, qu’il cultivait à plaisir, Charles de Lorraine dissimulait une grande finesse, et du sens politique.

Ainsi, pour bien montrer sa situation d’arbitre, et qu’on ne pourrait rien faire sans lui, fit-il attendre plusieurs heures messieurs de Condé, Nemours, La Rochefoucauld, Beaufort et pas loin d’un millier de gentilshommes qui s’en étaient venus l’accueillir au Bourget.

À la très belle duchesse de Montbazon, qui le pressait de soutenir la Fronde, il répondit :

— Dansons plutôt, madame.

Et lui joua un air de guitare.

Au tout-puissant cardinal de Retz, qui l’entretenait de vastes projets guerriers, il récita des patenôtres en sortant son chapelet et en précisant que, si les religieux exerçaient à présent sa profession, il s’en allait, lui, faire leur métier.

Ainsi était Charles IV de Lorraine, qui continuait en secret à négocier avec la Cour.

Ni Mazarin, ni le duc de Lorraine ne souhaitaient un affrontement direct de leurs armées, au reste d’égales valeurs. Sans doute monsieur le maréchal de Turenne l’eût-il cependant emporté de justesse mais alors ses troupes diminuées et épuisées n’auraient plus constitué une menace pour monsieur le prince de Condé qui, en son habituelle promptitude à se concilier l’événement, les eût aussitôt attaquées.

En cet instant délicat, le duc de Lorraine eut une idée qui contentait tout le monde : il retirait sa puissante armée si le roi Louis acceptait de lever le siège devant Étampes où se trouvait enfermée l’armée de la Fronde.

L’accord se fit.

Charles IV, duc de Lorraine, se retira donc très satisfait. Ayant libéré l’armée de messieurs les princes, il empochait l’or de l’Espagne qui aurait préféré son intervention directe mais ne pouvait nier qu’il eût, en cette occurrence, aidé monsieur le prince. D’un autre côté, le roi lui rendait deux de ses places fortes confisquées et promettait de restituer les autres une fois la Fronde écrasée.

Cependant, pour ceux qui voyaient un peu plus loin, ce combat diplomatique ne s’achevait point par une égalité de contentement.

En effet, alors qu’il pensait possible l’entrée en guerre aux côtés de la Fronde de la redoutable armée du duc de Lorraine, Mazarin en avait appelé aux seigneurs de province fidèles à la personne du roi.

Et, venus de tout le pays, certains répondirent aussitôt à l’appel, tel le maréchal de La Ferté qui amena trois mille hommes de troupes fraîches à monsieur de Turenne qui ne cacha point son contentement.

À présent, l’armée royale se trouvait très supérieure en nombre à celle de la Fronde et, pour ne rien arranger à la situation de celle-ci, les différentes armées avaient causé grands dommages autour de la capitale, au point que la moisson fut perdue.

Outre l’armée royale, un spectre hantait les Condéens : la famine en la ville de Paris et ses Faubourgs.

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